ISSN : 2266-6060

Réécrire l’histoire


Tirana, septembre 2022.


Pour ne pas oublier ce qu’a été l’expérience collective de la République populaire socialiste et transmuer la paranoïa d’un dictateur du XXe siècle en un patrimoine national pour le futur, la nouvelle République d’Albanie a métamorphosé deux de ses plus grands bunkers en musée. Le BunkerArt situé dans le centre de Tirana, au pied du ministère de l’Intérieur, se présente au visiteur comme un musée d’histoire de la police. Les touristes déambulent dans les étroits boyaux du sous-sol en lisant des panneaux présentant les corps de métier et leurs fonctions, ici les patrouilles de la police aux frontières et leurs chiens empêchant les Albanais de quitter le pays, là la gendarmerie et son équipement fabriqué en Chine, qui a été pendant 17 ans un allié indispensable à la survie économique. Ensuite, les galeries centrales du bunker hébergent ce qui a le plus nettement caractérisé la dictature albanaise pour les populations : des informations issues des archives du service de renseignement intérieur, le Sigurimi, mises en scène par des artefacts de surveillance et l’explicitation de techniques de préservation de l’idéologie étatique.
On découvre alors la manière dont l’histoire était réécrite au fil des alliances et des oppositions des dirigeants : au centre de cette photo, un participant à une audition judiciaire, devenu, à l’issue d’un schisme, un ennemi intérieur, a été effacé des archives. Un tri des archives, un pinceau entre les mains d’un agent spécialisé, quatre nuances de gris et une dizaine de lignes horizontales et verticales avant réarchivage du dossier, voilà comment la dictature se soucie de l’histoire et maintient, pour elle-même, la cohérence du passé dans le présent. On comprend alors que réécrire c’est ici effacer en peignant, et que cela suppose des techniques étatiques de trucage dont aucun lecteur des archives n’a sans doute jamais été dupe. Ici comme ailleurs, cette présence de l’absence permet au visiteur de quitter ce sinistre musée avec une lueur d’espoir quant aux capacités de résistance s’appuyant sur ces minces êtres de papier !



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