ISSN : 2266-6060

La croix


Paris, avril 2020.

On se parle désormais derrière des masques et on s’écrit derrière des vitres. Pour se justifier d’être fermés, pour donner l’adresse du site internet où passer commande ou encore pour informer des horaires aménagés. Il y a aussi tous ces petits mots qui fleurissent pour reconfigurer l’espace marchand, dont le fameux « toucher, c’est acheter » qui fait reposer sur la vue la sélection des produits non emballés et rend suspectes les velléités de consulter les étiquettes. Il y a encore ces signes qui passent par l’image pour marteler les consignes gouvernementales ou les marques graphiques que l’on connaît, sans vraiment les avoir examinées, comme cette trop fameuse croix de l’interdiction.
Après les dix minutes de queue règlementaire, vous entrez dans votre boutique de thé préférée. Votre enthousiasme se dégonfle à la vue de la croix colorée qui vous avise de l’évidence de ce nouveau monde de la précaution sanitaire dans lequel vous avez décidément du mal à prendre place. On ne sentira pas les thés, on ne manipulera pas les échantillons. L’usage des sens est restreint au chez-soi, les collectifs qui le portent s’étiolent. Se reconfigurent dira-t-on avec plus d’optimisme. Il conviendra alors d’étoffer son langage de ces mots qui font un peu cuistre quand on les prononce et de faire confiance comme l’on ferait un pari dans ce vendeur sympathique. Voilà ce que veut dire ici et maintenant cette croix renversée qui ne fait que se multiplier.



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