ISSN : 2266-6060

Voyage dans le temps


Besançon, avril 2024.

Deux personnes avaient déposé de grands sacs en plastique devant les bacs de tri et repartaient hâtivement en direction de leur voiture, sans doute conscientes qu’en ne versant pas le contenu des sacs dans les bacs, elles n’avaient pas complètement accompli le geste de tri des déchets. Il faut convenir que ce qu’ignore la catégorie administrative de dépôt illégal, c’est qu’il y a des choses plus ou moins faciles à jeter ; à la fois matériellement, du fait des formats des objets et des bacs, et affectivement, en raison des liens qui nous attachent à ces objets dont nous devons pourtant nous débarrasser.
En s’approchant des sacs entrouverts, on apercevait des disquettes et des CD-ROM, étiquetées à la main, ainsi que d’épais carnets de notes recouverts d’un enduit noir. Le contenu des carnets autant que les disquettes et les CD-ROM témoignent d’une autre époque de l’informatique : déjà décentralisée et de bureau, mais dans laquelle on n’avait pas un accès continu et peu couteux à internet, où l’on achetait des encyclopédies, soit sous forme d’ouvrages ou, comme ici, de CD-ROM, et où l’impression à domicile était rare et onéreuse. Alors, certaines remplissaient avec soin de beaux carnets : sélectionnant des entrées intéressantes, recopiant en reformulant certains passages afin de se constituer une mémoire externe — une partie de celle à laquelle nous avons renoncé avec l’information à portée de main. Le carnet dédié à l’histoire des sciences et des techniques est aussi l’occasion d’entrevoir une autre modalité de passage du temps : à l’exception de la double page consacrée aux « Époux Curie », la cinquantaine d’entrées du cahier porte sur des savants, des inventeurs, des découvreurs, des scientifiques, sans mentionner aucune femme. Voilà, ça a longtemps été comme ça dans les pratiques documentaires, des sciences sociales aux sciences naturelles, toutes traversées par le fameux effet Matilda ; alors finalement si l’on s’en rend compte, c’est que les temps ont changé et que la mise aux rebuts ne doit pas inspirer tant de nostalgie.



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