Nos fantômes
Paris, mai 2010.
Michèle Grosjean, qui nous a quittés ce samedi, était une collègue chère aux yeux de nombreuses personnes, tout spécialement chez ceux qui se plaisent à étudier les activités de travail. Membre importante du réseau Langage et Travail elle n’était pas seulement une grande chercheuse, mais aussi une personne adorable. Ses recherches sur l’hôpital et les pratiques d’écriture qui y ont cours, menées notamment avec une autre Michèle (Lacoste), en font une référence cruciale pour Scriptopolis. En regardant cet écran électronique qui affiche dans le hall de la Mairie, le programme des réunions à venir ainsi que leur salle, je ne peux m’empêcher de penser à leur merveilleux papier (un de leurs grands succès) sur l’oral et l’écrit dans les communications de travail. Dans ce papier, elles montrent de manière très détaillée que des instanciations distinctes d’une « même » information produisent des situations extrêmement différentes. Elles se focalisent notamment sur un tableau grâce auquel les prochaines tâches des infirmières et des médecins sont affichées pour tous. Ces tableaux, du même ordre que celui que l’on voit ici n’agissent pas du tout de la même manière que les emplois du temps personnels ou les fiches individuelles. Ils facilitent l’émergence d’une information riche, collective, grâce à laquelle tout le monde peut saisir en même temps et en un clin d’œil, non seulement ce qu’il a à faire et où il doit aller, mais aussi ce à quoi et où les autres s’affairent. Les systèmes d’affichage public sont ainsi des supports puissants d’awareness : cette attention périphérique aux autres qui opère comme l’huile des ajustements ordinaires au travail.
Pour sa passion pour ce type de détails et pour son invitation à les guetter sans cesse à travers des comptes rendus ethnographiques approfondis, Michèle vient de rejoindre la petite armée de fantômes qui hantent nos vies.