ISSN : 2266-6060

La cause

Clamart, mars 2020.

La grammaire est politique. Distribuer autour d’un verbe d’action un sujet, un objet ; désigner des compléments directs, indirects ; organiser les circonstances… Rien de tout cela ne s’effectue de manière transparente. En situation de crise, cet exercice de composition du réel semble plus sensible encore. On peut en tout cas y voir se jouer des alliances, s’exprimer des défiances qui ne seraient sans doute pas si flagrantes en temps ordinaire. Voyez ce qu’annoncent les affichettes qui préviennent de la fermeture des commerces, affichées à même les grilles et les devantures. À l’information principale, peu propice à l’équivocité, (« nous sommes fermés ») s’ajoute bien souvent une autre, qui désigne, assigne, voire accuse. Elle pointe une raison à la situation que décrit la première, une cause à la fermeture inhabituelle. Les choix qui s’offrent ici au scripteur sont nombreux, mais il est facile de repérer une oscillation assez nette entre deux possibilités. Un balancement entre deux mondes. D’un côté, le virus et sa puissance inédite. Un être invisible, inhumain, meurtrier, capable d’entraver la marche des économies nationales et internationales. De l’autre, des hommes et des femmes auxquels on sait donner un nom et un visage, et dont les formes d’action — et d’inaction — sont bien connues. Le gouvernement, ses décisions politiques et le lot d’obligations et d’interdictions qui les accompagnent.
On peut tiquer, bien sûr, à voir choisie la seconde option, qui peut mener à un terrain glissant. Mais gardons en tête qu’aucune de ces deux possibilités n’est fausse au sens strict du terme. Et que si elle décrit une certaine réalité en isolant des traits jugés pertinents, la formule écrite en produit aussi une autre : celle qui sépare, ou rassemble, la personne qui la lit de celle qui s’est posée en l’inscrivant, peut-être sans y penser plus que ça, en position d’énonciateur.



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