ISSN : 2266-6060

Vues

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L’invité du vendredi : Etienne Bellan-Huchery

Paris, avril 2009.

Un jour, en rentrant de faire mes courses, je passe devant une boutique qui, apparemment, est en train d’être réaménagée. Que se cache-t-il derrière cette vitrine couverte de peinture blanche semi opaque qui masque partiellement la vue tout autant qu’elle attire mon œil et aiguise ma curiosité ? En m’approchant je distingue alors un homme qui peint à la bombe aérosol sur une toile. Ce n’est pas une boutique classique qui va ouvrir, c’est un atelier d’artiste. L’homme à la chevelure grise est de trois-quarts arrière, son apparence générale me rappelle quelqu’un, mais je ne suis pas sûr de moi. Je rentre poser mes provisions.
Une fois au calme, mon esprit reste obsédé par le graffeur mystère. Je décide de retourner devant la boutique. Là, je le regarde un peu travailler, en essayant de ne pas me faire remarquer. Très vite je reconnais son style, ses lettres. Je ne peux pas y croire, c’est Seen, un New-Yorkais du Bronx, un des pionniers du graffiti au même titre que Dondi ou Jonone. Seen est une légende vivante pour qui s’intéresse à la culture hip-hop underground. Mais que diable est-il venu faire dans mon quartier ?
En rentrant chez moi très vite les souvenirs se bousculent. Je me souviens de mon premier voyage à New York, en 1997, j’y avais découvert le quartier du Bronx grâce à un ami toulousain. Nous avions passé un après-midi à marcher depuis le terminus du métro de Woodlawn jusqu’au Yankee Stadium sous la ligne 4, à la recherche de fresques, de « throw-ups » et de tags. Durant ces quelques heures nous avions croisé des dizaines de murs où l’ont pouvait lire les noms de Cope2, T-Kid, Bio, BG183, Loomit, Daim, Yes2 et bien sûr Seen. Equipé de mon appareil photo j’avais pris des clichés des mûrs recouverts des noms de ces graffeurs. Plongé dans mes souvenirs, je décide alors de fouiller dans mes archives. Je retrouve le négatif de la photo d’un des tags de mon nouveau voisin prise en 1997. Je lui fais un tirage que je lui apporte quelques jours plus tard.
Depuis plus de 20 ans les murs de mon quartier sont eux aussi recouverts de noms. Des signatures que le passant arrive à lire ou pas, qu’elle ou qu’il trouve disgracieuses, dérisoires et insensées ou plutôt harmonieuses, réfléchies et signifiantes.
Plusieurs mois après, un matin, alors que j’amène ma fille à la crèche, je tombe nez à nez avec un tag que j’aurais reconnu entre tous, un tag que j’avais vu pour la première fois dans le Bronx en 1997. Ce qui devait arriver arriva, mon voisin avait fait une excursion nocturne la veille. Hasard et coïncidence, les quatre lettres de son nom, après avoir vu le jour à des milliers de kilomètres de mon domicile, décorent à présent mon environnement. Quatre lettres qui racontent aussi bien l’histoire de l’homme qui les écrits sur les murs depuis plus de 30 ans, que l’histoire de celui qui un jour les a vues.

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