ISSN : 2266-6060

Repère

Clamart, septembre 2022

Après des années à éviter la bascule, à faire les compromis des compromis entre le lointain et le proche, il a fallu se décider. Les bras étaient devenus trop courts, les textes étaient décidément imprimés trop petits, la lumière était trop faible. Malgré leur nom, le passage aux verres progressifs a été brutal. Plus encore qu’un symbole, la certitude de voir sa vie quotidienne sensiblement dégradée, après plus de quarante ans de cohabitation paisible avec des prothèses visuelles qui n’ont jamais vraiment posé de problèmes.
Les premières étapes ont été semblables aux autres, les yeux se prêtant à toutes sortes d’inscriptions et d’inscripteurs. La canonique planche aux successions de lettres aléatoires, affichées des plus grandes aux plus petites, déchiffrées à l’aide de verres amovibles marquées de petites étiquettes. L’ordinateur sur lequel l’ophtalmologue tape les résultats, reproduisant probablement une série de chiffres au premier « là, je ne lis plus ». Puis l’imposante machine sur laquelle il faut poser son menton et son front et fixer un point rouge, une route verte, des objets en mouvement, les yeux s’emplissant peu à peu de larmes. Puis une fois le mécanisme basculé, un nouvel instrument envoyant une lumière sans doute minuscule dans la cornée, mais bel et bien douloureuse.
Tout va bien. Il faut aussi un peu corriger la vision de loin depuis la dernière fois, c’est normal. L’astigmatisme en revanche ne bouge plus. Quelques éléments encore saisis sur l’ordinateur, et l’ordonnance sort de l’imprimante.
C’est ensuite que les choses devaient changer. Des verres progressifs, ça se règle de manière bien spécifique, il faut prendre d’autres mesures pour déterminer l’emplacement de trois zones : celle qui permet de voir de près, celle dans laquelle on pourra voir de loin, et la petite partie où la correction… progresse. As-tu été déçu de voir l’opticienne te demander de regarder « droit devant » ton image dans le miroir, puis s’approcher des verres de tes lunettes avec un feutre ? De réitérer le geste pendant que tu lisais le prospectus qu’elle avait placé dans tes mains ? Pas d’instrument coûteux, pas d’équations, pas de pondération savante. Un feutre tout bête, et une sorte de croix maladroitement tracée à même les verres. Oh non pas déçu. Pas le moins du monde. Ravi, à vrai dire, de découvrir la force encore bien vivace d’un simple trait d’encre à la fin d’une cascade d’inscriptions.



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