ISSN : 2266-6060

Mettre les formes

MettreLesFormes

Paris, avril 2014.

Le formulaire est constitutif de l’écriture administrative. Sa trame générique est faite de plusieurs zones dans lesquelles sont disposées des séries de cases. Tandis que les zones découpent le monde en domaines thématiques (nouvel usager ou renouvellement d’une situation, identité professionnelle, renseignements familiaux,…), les cases dessinent l’espace des réponses possibles à chacune des questions. Jalonné de choix binaires ou multiples, le formulaire combine bien souvent des listes, une disposition tabulaire, et parfois des champs libres. Son caractère de modèle rigide de l’écriture est le lieu d’excellence d’une politique des catégories, chère aux travaux dédiés aux infrastructures informationnelles. Du point de vue d’un formulaire, on est le plus souvent soit un homme, soit une femme, soit actif, soit au chômage, située dans une des tranches d’âge prédéterminées, célibataire, mariée, pacsée ou en couple… Bref, toutes les situations qui flirtent avec les marges, qui ne rentrent littéralement pas dans les cases, sont exclues des réponses possibles. Elles sont reléguées à la catégorie absente du formulaire, mais produite par le monde circonscrit par sa composition même : celle des “monstres” si bien décrits par Susan Leigh Star.
Remplir un formulaire, c’est donc à chaque fois comprendre le cadrage de la situation projetée en quelques mots, dont une réplique du cinéma français devenue célèbre le rappelle si simplement : « on vous demande de répondre par ‘oui’ ou par ‘non’. Alors forcément ‘ça dépend’, ça dépasse ! ». Mais remplir un formulaire, c’est aussi s’engager dans une suite d’opérations bien particulière. Il ne s’agit pas uniquement de remplir les cases de manière appropriée, il faut également que les inscriptions respectent un certain nombre de conventions : ici la couleur noire, les majuscules, le centrage des inscriptions dans les cases, et les lettres accentuées sont de rigueur. Le respect des formes est crucial pour que le formulaire remplisse son office, produise l’effet attendu, réalise l’enregistrement officiel à telle ou telle activité. Sans ce souci porté aux petites inscriptions, aucun changement de statut ne saurait être garanti, aucune inscription effective ne s’aurait être effectuée à l’autre bout de la chaîne administrative.
Comme tout écrit, le formulaire est adressé. Les formes attachées à son écriture sont indissociablement liées aux conditions de sa lecture. Bien écrire, remplir chaque rubrique avec soin, mettre les formes, c’est s’assurer que le document sera d’autant mieux saisi et compris. Une bonne écriture permet un traitement débarrassé de multiples doutes et hésitations sur la forme d’une lettre ou l’exactitude d’une formulation. Se conformer aux attentes graphiques, c’est simultanément montrer que l’on accorde de l’importance à l’institution et ses agents. Que ces derniers soient des humains ou des robots, la lecture est leur principal acte de travail. Et, comme le précise cette affiche rappelant les règles d’écriture, ils savent récompenser les scripteurs qui se soucient de leur moindre effort : les bons élèves verront le traitement de leur demande “plus rapide” !



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