ISSN : 2266-6060

Le corps, épisode 3 : le buste

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Rome, 21 juin 2011.

L’été à Rome il fait chaud : tout le monde porte des tee-shirts (le « marcel » est prohibé dans les églises) ; il n’est pas rare que sur ceux-ci soient imprimés d’écrits : le président Sarkozy aime à courir avec un T-shirt portant l’inscription NYPD (sans rapport aucune avec des affaire en cours, c’est un vieux qu’il a depuis Cecilia). D’autres préfèrent le nom d’une université californienne, d’une marque de chaussures ou bien des énoncés plus poétiques : « Trust me. I’m a girl! », ou politique « Yes we can », « Free Tibet »… On devrait s’amuser à noter tout ce qu’on lit sur le buste de nos contemporains lors de nos pérégrinations estivales…
Pour ce premier jour de l’été, il n’a pas mis un tee-shirt, mais il a enfilé les panneaux violet et blanc qu’il avait fait confectionner chez un imprimeur du quartier ; il n’avait pas voulu inscrire un nom propre, des dates, mais simplement un énoncé trouvé dans les archives d’un philosophe de l’université Grégorienne qui se trouvait être son grand oncle… Alors il est descendu dans la ville avec sur le dos en version bilingue, cette énigmatique phrase qu’un de ses amis philosophes était venu lui expliquer quelques jours auparavant.
À 10h, il est parti avec son vélo, il a sillonné la ville et ses lieux touristiques (le Colysée, la campo di fiori, la place Navone, le panthéon, la place d’Espagne… Il a remonté les files de voitures, s’est arrêté devant les monuments. L’inscription à coup sûr est venue s’introduire dans le champ des photographies des touristes. Écrit venu coloniser le futur souvenir et produire une légende énigmatique dans l’image : un slogan publicitaire, politique, religieux ?
À 13h, il est ressorti avec son attirail et dans les mains une pile de tracts qu’il avait réalisés avec une photocopieuse. Sur ces papillons/flyers quelques citations philosophiques (Aristote/Thomas d’Aquin). Rien de dangereux, juste « un peu de philosophie ». Distribution gratuite de philosophie… Il est allé jusqu’au pied du parlement et a trouvé à qui donner : les parlementaires et leurs attachés. Ils se méfiaient de l’écrit sur le buste, ils étaient rassurés par le petit tract en police Times 30.
À 16h, il a sorti un mégaphone non plus pour faire lire mais dire ces énoncés philosophiques. C’est la voix qui appelait à la lecture des panneaux. Difficile de comprendre son italien, alors leurs regards venait se poser sur les écrits de l’homme-sandwich.
Le soir venu, les épaules étaient rougies, la voix cassée, les ampoules couvraient les pieds… Écrire la ville n’est décidément pas une mince affaire.



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