ISSN : 2266-6060

Banni

Singapour, février 2018.

Les disques d’occasion que l’on est prêt à acheter répondent généralement à trois critères minimaux : ce sont des disques que l’on ne possède pas déjà (à un certain moment, une base de données interrogeable sur son téléphone peut aider à en être sûr) ; ils sont vendus à un bon prix (les places de marché en ligne ont complètement changé la donne sur ce point) ; et ils sont aussi neufs que possible. Dans les magasins du monde entier, comme en ligne, ce dernier critère est explicité grâce à l’usage du Goldmine Standard, qui permet de noter l’état des disques, de Poor à Mint. Évidemment, dans la plupart des cas, on est à la recherche de disques Mint. Ce sont ceux qui seront les plus beaux et qui sonneront le mieux. Mais ce sont aussi ceux qui sont les plus chers. Parfois, on cherche donc un équilibre juste entre l’état et le prix: c’est à peu près ce que tout homo œconomicus fait. Mais il arrive qu’on cherche autre chose. Des éléments historiques par exemple. Si l’on tombe sur un stock de disques qui a appartenu à la radio nationale de Singapour, par exemple, on pourrait apprécier les marques qu’une telle propriété implique. Surtout si, en plus des tampons officiels, la pochette donne à voir les preuves des pratiques de censure dont on a entendu parler à l’occasion d’un premier voyage sur place. Un disque pas trop cher, que l’on ne possède pas déjà, sur lequel une chanson a été interdite : voilà un bon plan.
À la caisse, on peut même glaner un peu plus d’informations en demandant au propriétaire du magasin s’il connaît les raisons qui poussaient le gouvernement de l’époque à censurer une chanson. Il faut dire qu’il est difficile d’imaginer ce qu’un régime politique pourrait trouver de menaçant dans un titre comme « Walk Right In ». « Oh, à peu près toutes les chansons qui n’étaient pas des chansons d’amour étaient interdites. » Ça fait sans doute un sacré paquet.
Maintenant que l’on a une histoire, on peut partir et rapporter le disque à la maison. Non toutefois sans avoir vérifié le média lui-même, en espérant que les marques sur la pochette et le rond central ne sont pas accompagnées par une autre à même les sillons. Celle-ci ajouterait au témoignage graphique de l’interdiction officielle une impossibilité matérielle qui serait difficile à trouver intéressante, même si l’on est féru de Science and Technology Studies.



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