ISSN : 2266-6060

Nous ne sommes pas malades

Paris, avril 2020.

Par notre invitée : Florence Paterson

C’est la superposition des affiches qui me frappe d’abord, me racontant une histoire en deux temps. La première série, glissée dans des pochettes en plastique, est scotchée à l’intérieur de la vitrine du bar-tabac. L’affichage, bien protégé, devait-il durer, résister au moins un temps aux aléas ? La dernière affiche, feuille de papier collée à même la vitre, mais à l’extérieur, scelle la décision : le bar-tabac a finalement « fait le choix d’opérer une FERMETURE PROVISOIRE ».
« Nous décidons… », le bar-tabac « a fait le choix », le ton très volontaire n’a rien d’anodin. On sent qu’il leur fallait agir, dans ces deux temps, qu’il s’agit d’une histoire traversée de tensions. À quelles remarques de clients railleurs, curieux, inquisiteurs, intéressés, voire même apeurés, ces lignes répondent-elles ? À l’heure de l’affichage (autour du 18 mars) le gouvernement préconisait le port du masque pour le « personnel de santé » (dixit une affiche Coronavirus : quels comportements adopter ? trouvée sur le site gouvernement.fr). Mais dans un bar-tabac ?
L’affiche explique : le port d’un masque c’est « pour se protéger et protéger les autres » ; affirmation renforcée par l’affiche suivante : au centre une tête noire munie du masque, suivie de la même explication.
L’affiche justifie : « ce n’est pas parfait mais c’est largement mieux que rien avoir ! »
L’affiche défend, combat la suspicion, et même si c’est écrit entre parenthèses, c’est en caractères gras : « nous ne sommes pas malades ».
Après deux ou trois jours, le bar-tabac fermait. Deuxième temps de l’histoire. Les bureaux de tabac, disait pourtant le gouvernement, font partie des commerces « indispensables à la vie de la Nation ». À Paris, plus de la moitié ne relève plus leur rideau, lit-on dans le JDD, « à écouter [le] président [de la Confédération nationale des buralistes], Philippe Coy, on comprend que les premiers à céder ont été les professionnels d’origine asiatique, victimes d’un stupide amalgame, comme les restaurateurs, en raison de l’alerte sanitaire venue d’abord de Chine ».
Sur les affiches du bar-tabac de mon quartier, les encouragements aimables à la clientèle ne masquent pas le ton agonistique, double lutte contre un virus et une suspicion.



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