ISSN : 2266-6060

Identifier


Par notre invitée : Florence Paterson

Paris, novembre 2022.

Urgences. Après des démarches administratives au guichet et un séjour dans la salle d’attente, un infirmier crie mon nom. Je le suis, passant les portes automatiques qui mènent au cœur des urgences. Dans la petite salle de consultation, après quelques questions et une mesure des constantes, une infirmière me pose un bracelet. En plastique orange, il est clipsé autour de mon poignet gauche. Il est conçu pour n’être pas déclipsable, pour l’enlever il faut le couper. Je le sais parce qu’en d’autres circonstances (laisser passer dans un endroit de vacances) j’en avais porté un (bleu), qui par chance était suffisamment lâche pour que je le fasse glisser de ma main pour le fourrer dans ma poche et le renfiler en temps voulu. L’infirmière colle une étiquette sur le bracelet : mon nom, date de naissance, âge, genre, nom du service, date, code barre. Me voici code-barrisée. Les flacons de sang qu’on me prélève me sont liés par ce code barre. C’est mon sang. De même me sera attribuée la poche de laquelle pend la perf’ reliée à mon bras, puis des documents. Quand je changerai de service, la première des choses que fait l’infirmière qui m’accueille est de recouvrir la première étiquette code-barrisée de mon bracelet orange par une seconde, qui porte les mêmes indications à l’exception du nom du service. Pendant deux jours, chaque soignant que je rencontrerai me demandera mon nom et ma date de naissance. Je souffle un peu, mon identité n’est pas vérifiée en lisant le bracelet, je suis un sujet parlant.
Je découvre cependant un autre usage identifiant de ce bracelet, lié au découpage des espaces d’accueil et de soin. Nous sommes dans la salle d’attente interne à l’espace de soin des urgences, celle qui se trouve au-delà de la porte automatique et fait face aux salles d’où, depuis des heures, chacun entre et sort, pour une prise de sang, voir un médecin, se faire poser un plâtre, prendre un papier. Les appels se succèdent au point que les uns ont appris le nom des autres, une dame souffle à une autre qui vient se rassoir, « je crois qu’on vous cherche, on vous a appelée ». Vers 22h, un agent de sécurité entre en scène : « Les accompagnants sont priés de sortir, il faut aller dans la salle d’attente », celle qui est à l’entrée des urgences avant le passage de la porte automatique. Un jeune homme embrasse sa compagne, dit quelques mots rassurants, et s’en va. L’agent de sécurité revient, s’adresse à un couple âgé, dit à l’homme qu’il doit sortir. « Nous sommes ensemble », refusent-ils. C’est la femme qui porte le bracelet orange, mais elle semble veiller sur l’homme qui n’a guère l’air en forme. Ils restent assis côte à côte. Retour de l’agent de sécurité, il insiste. Le couple sort, ensemble, j’entends leurs voix dans le couloir, mécontents. L’incident est discuté par quelques-unes des personnes présentes : c’est idiot, ça fait des heures que les accompagnants sont là sans que ça gêne personne, quel intérêt de les faire sortir ? Assis dans un coin, aux côtés du fauteuil roulant où est assise celle qu’on devine être son épouse, un autre homme âgé joue l’inertie et jusqu’ici l’agent ne l’a pas repéré. Il est débusqué et doit partir. « Et vous ? » dit l’agent agacé à un jeune homme. Contrairement à moi et à quelques autres, il n’a pas de perf’, signe très visible que nous sommes des patients. L’homme tend le bras, poing serré, relève sa manche sans un mot. Le bracelet orange à son poignet parle pour lui, l’agent acquiesce.



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