Suivi nº2
Clamart, mai 2025.
Le bracelet d’identification est sans doute le dispositif de traçabilité le plus connu de l’hôpital. C’est en partie dû au petit culte fétichiste dont il fait l’objet lorsqu’il est utilisé en maternité, et qui vaut à grand nombre de parents de s’attacher à cet objet qui témoigne aussi bien de la première apparition graphique du prénom de leur enfant que de la date de sa naissance et de la petite taille du poignet qu’il a encerclé.
Lorsqu’il est installé chez un adulte, qui plus est dans le cas d’une intervention bénigne en ambulatoire, ce sont ses usages premiers qui passent au premier plan. Identifiant bien accroché, on comprend qu’il assure la continuité de la personne — son identité civile, administrative, sanitaire — et de son corps, bientôt nu sous les lumières puissantes du champ opératoire.
Cela dit, juste avant l’entrée au bloc, tandis qu’il m’est demandé de m’asseoir et que quatre infirmières se placent autour de moi, je découvre la place qu’il prend dans des activités dont je n’avais pas encore fait l’expérience. Depuis quelques années, le monde hospitalier a développé des méthodes de sûreté et de sécurité directement inspirées du secteur de l’aviation civile et militaire. Au centre de celles-ci se trouve la mise en œuvre d’une redondance stricte de l’information, qui s’éprouve par des temps ritualisés de vérification collective. Pour qui n’a cessé de lutter contre les prétentions des ingénieurs (en particulier informatique) à réduire les instances informationnelles au strict minimum, et qui admire profondément les travaux qu’Edwin Hutchins a consacrés aux échanges entre personnels navigants, l’exercice est presque émouvant. Il est en tout cas très rassurant. Sous le regard de ses deux collègues qui se sont posées devant moi, l’infirmière à ma gauche tient un dossier à la main. Elle lit à voix haute mon prénom, mon nom et plusieurs autres informations récapitulant mon identité et la nature de l’intervention que je vais subir. À ma droite la dernière collègue tient délicatement mon poignet et redit à voix haute les éléments qui se trouvent sur le bracelet, confirmant par quelques hochements de tête que les termes prononcés concordent. À chaque occurrence, elle m’interroge en me regardant dans les yeux : est-ce que tout cela correspond bien à ce que je suis capable de me rappeler de toute cette affaire ? Oui oui. Tout va bien, je peux donc entrer au bloc, apaisé. Heureux d’avoir pu contribuer à cet agencement subtil — bien peu spectaculaire — d’écriture, de lecture, de regards, de gestes et de paroles qui nous a permis, ainsi qu’à l’institution hospitalière tout entière, de consolider un accord durable autour d’une question aussi simple que vertigineuse : que se passe-t-il ici ?