ISSN : 2266-6060

Lire à l’intérieur

Roanne, juillet 2012.

Comment pouvons-nous étudier un organisme ? Comment voir à l’intérieur d’un objet matériel ? Selon les situations et les innovations techniques, plusieurs technologies de vision sont à notre disposition pour effectuer de telles enquêtes. L’usage des sensations et des capacités à constituer des indices est resté la façon principale de produire une interprétation pendant longtemps. La possibilité de ‘lire’ à l’intérieur d’un organisme s’appuie sur des traces infinitésimales qui permettent d’accéder aux secrets d’une réalité plus profonde. Ici réside la principale dimension du ‘paradigme indiciaire’ avancé par C. Ginsburg : une bonne interprétation mobilise souvent des détails insignifiants en apparence ; elle résulte de savoir-faire et d’habiletés particuliers qui forment cet art d’interpréter en manipulant.
L’introduction de nouvelles technologies peut prolonger cette façon de connaître qui met l’accent sur l’expérience sensible, mais celles-ci cherchent la plupart du temps à installer des vues plus rationnelles. Les habiletés et les savoir-faire sont formalisés selon des procédures aussi standardisées que possible et les travailleurs sont dépossédés de leurs savoirs spécifiques. Les humains sont remplacés par des non-humains, des machines et des dispositifs, qui transforment profondément la nature de leur tâche. Leur contribution n’est plus conçue comme la principale origine productive d’un travail, mais réduite à une activité de supervision entièrement réorganisée vers la détection de pannes.
Pourtant, il n’y a pas de scénario univoque. L’introduction de l’électronique et de dispositifs de diagnostic dans la réparation des automobiles offre une autre vue. L’acte de ‘lire’ à l’intérieur d’une voiture est certes transformé : les travailleurs doivent brancher le dispositif afin d’identifier les causes de la panne. Ils doivent également apprendre de nouveaux codes et articuler ceux qui s’inscrivent sur le petit écran aux différentes parties du corps matériel d’une voiture particulière. La séquence d’actions et la division des tâches est quelque peu modifiée. Mais cela ne signifie pas pour autant que les travailleurs ont perdu leur connaissance experte. Ils doivent toujours connaître les marques de voiture et les défauts spécifiques de chaque modèle. Et par dessus tout leurs habiletés et leurs savoir-faire demeurent cruciaux pour accomplir les manipulations appropriées. Ici le dispositif de diagnostic non-humain est un partenaire dans la division du travail interprétatif, pas un concurrent direct pour l’effectuation du travail. Au lieu de réduire a priori le rôle de ‘la’ technologie à un statut unique, sa seule présence nous invite à étudier la manifestation de ses multiplicités.



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