ISSN : 2266-6060

Le ton monte

JFM
L’invité du jour : Jean-François Magre

Dans une petite rue d’un quartier cossu de Toulouse près du monument aux morts, le passant découvre une inscription qui le laisse perplexe. Le panneau portant l’injonction Stationnement gênant en face est repris dans un geste visiblement courroucé. Le rouge criard, les fautes d’orthographe et le graphisme sale finissent d ‘écorcher les mots et donnent à l’ensemble une facture presque gore. En se plantant devant, bras tendus, pour prendre une photo avec son mobile, le passant intrigue à son tour une dame s’apprêtant à rentrer dans l’immeuble concerné, elle lui demande sur le ton de la plaisanterie si par hasard ce ne serait pas lui qui aurait fait ça. Le passant se met à rire en feignant de se défendre, le dialogue s’instaure. Il en profite pour tenter de comprendre cette outrance suspecte de la signalétique qui ne semble pas s’être décidée dans une assemblée générale de copropriétaires. La dame lui apprend qu’il s’agit sans doute d’une vengeance. En effet, l’étroitesse de la rue oblige à laisser la voie libre devant la porte du garage afin que les voitures puissent manoeuvrer dans cet espace pour sortir comme pour entrer. Pourtant, les voitures font fi des pointillés jaunes ou des hachures et, les places étant très rares en ville, continuent de stationner en face. Certaines ont été récemment la cible de représailles de la part d’un habitant de l’immeuble sous la forme de gribouillis injurieux patiemment étalés sur la carrosserie et le pare-brise. Cette atteinte au bien automobile justifiait une réplique. Pour faire comprendre sans équivoque à qui elle était destinée, elle devait consister à retourner le procédé, c’est-à-dire l’attaque verbale manuscrite, contre le bien de l’agresseur, immobilier celui-ci. Mais point d’injure cependant. Qu’exprime donc cette riposte. La dame s’interroge elle aussi. Le passant ose une interprétation. En jouant le retour de manivelle, l’automobiliste offensé aura voulu traduire par une sorte de stridence visuelle la façon dont il ressent le caractère coercitif et liberticide de l’injonction, un peu comme s’il avait voulu renvoyer les habitants de la résidence lisse et tranquille à leur vraie nature, intolérante et belliqueuse. Avant de remonter chez elle, la dame confie au passant que ce voisin est quand même un peu fêlé et que si le graffiti n’est pas très joli elle s’en fiche pas mal finalement car son mari et elle, retraités et domiciliés là depuis plus de 50 ans, n’ont pas de voiture.



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