ISSN : 2266-6060

Le prix de la chose

Vézelay, août 2020.

La manière dont les prix sont affichés sur les marchés modernes est le résultat d’une longue histoire, qui n’est évidemment pas achevée. Alors qu’elle relève aujourd’hui de l’évidence, l’idée même du passage par l’écriture est en réalité assez contradictoire avec le principe initial de l’économie qui voudrait que la fixation d’un prix soit le résultat d’une rencontre effective entre une offre et une demande. En stabilisant ce résultat, l’affichage disloque la rencontre, et permet de l’étaler dans le temps. L’un de ses instruments phares, l’étiquette, relève d’une autre opération qui elle non plus n’est pas anodine. Elle participe de la révolution du packaging, puis du rayonnage en libre service, dont Franck Cochoy et Sandrine Barrey ont montré qu’ils avaient profondément reconfiguré l’expérience marchande, désormais focalisée sur le face-à-face entre un acheteur invité à exprimer ses préférences et un produit rendu aisément identifiable par une impressionnante infrastructure de meubles, de contenants et de signes. L’opération nous est aujourd’hui si familière qu’elle passe la plupart du temps inaperçue.
On comprend à quel point elle nous conditionne lorsque l’on traverse des espaces où les prix ne font pas partie de l’appareillage marchand, qu’il s’agisse de lieux où l’argent coule à flots et où ces chiffres n’ont pas la même importance ou de marchés aux puces, territoires qui préservent l’apparente spontanéité de la collusion entre offre et demande.
Plus rarement, c’est la présence d’un prix qui surprend, et fait réaliser à l’inverse que tous les biens n’obéissent pas à la logique du supermarché. Sans doute en partie pour une bête histoire de préhensibilité, à en croire le trouble que déclenche la vision d’une étiquette collée au mur extérieur d’un immeuble. Comment sans rien de plus pour la délimiter savoir exactement de quelle chose ce nombre est-il le prix ?



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