À bout de bras
Rome, mai 2011.
Avec le développement à partir du XVIIIe siècle des institutions de conservation de la culture écrite, a été inventé progressivement tout un mobilier pour manipuler ces masses d’écriture ; il y a d’abord les célèbres girafes que l’on rencontre dans tous les dépôts du monde, il y en a d’antiques en bois de chêne avec leurs petits cordons de velours rouge, il y en a de plus modernes, plus voyantes, jaune et orange pour être sûr qu’aucun magasinier ou conservateur ne les heurtent.
Il existe aussi des charriots pour convoyer des dépôts à la salle de lecture, via le monte-charge les lisses demandées. L’objet est le plus souvent très sobre, pas la moindre décoration qui risquerait d’endommager le document. Le chariot ressemble à celui du chirurgien en salle d’opération. Il est froid, metalique, on dirait qu’il est vierge de toute impureté. Aussi lorsque le lecteur le découvre, il a souvent conservé sa poussière. Ici, dans ce magnifique palais où sont conservées les archives du procès de Giordano Bruno, ou celle des méfaits du Carravage lors de ses séjours romains, on préfère prendre ses bras. Les deux hommes portent chacun deux grosses liasses en les tenant par la ficelle. Dans l’ombre du soleil qui illumine la scène, les archives prolongent tout simplement leurs propres corps. Archives incarnées.