Professionnel
Il existe une multiplicité de manières de lire des livres. On peut lire à plusieurs ou en solitaire, dévorer l’ouvrage d’une traite, cibler des fragments à la recherche d’une information, ou survoler le temps d’un trajet. Il arrive également de relire le début, certains passages adorés ou plus obscurs, qui résistent à la mémoire. Certaines lisent en aplatissant sinon en contorsionnant le volume, quand d’autres soignent l’angle d’ouverture, de sorte à ne pas imprimer de plis au dos de la couverture. Enfin, il y a celles qui avancent crayon, voire surligneur, à la main pour s’y retrouver plus tard, qui annotent pour se souvenir, mettre à jour l’ouvrage, ou bien, insèrent des étiquettes, des marque-pages ou divers objets alternatifs au repli du coin des pages.
Parmi ces lectrices et ces lecteurs d’ouvrages, certains sont professionnels tandis que d’autres s’avèrent des amateurs plus ou moins passionnés et réguliers. Dès notre première rencontre, ce professionnel m’a exposé avec une excitation joyeuse la méthode qu’il a stabilisée au cours de ses années de formation. Installé à son bureau dans un fauteuil à haut dossier et accoudoirs, il lit en écrivant, mais jamais au grand jamais à même la page ! Il remplit le verso de petites fiches mobiles numérotées, qu’il glisse entre les pages de ses livres. Nul fétichisme de cet espace graphique pour autant : il découpe des feuilles dont seules comptent les dimensions ; la fiche devant être plus étroite que la page pour trouver sa place dans le livre, qu’il soit de poche ou grand format. D’une écriture régulière et appliquée, il commente en recopiant des citations et les numéros des pages d’où elles sont extraites et distingue, par l’emploi d’encres de couleur, ses réflexions du texte commenté.
Quand il revient au livre, il commence par les fiches. Ses feuilles numérotées construisent donc, au sens littéral, l’autre texte de ce qui est devenu son livre, lui ouvrant la possibilité de se déplacer dans le temps. Ses notes permettent en effet un déplacement vers le moment de la lecture dans le passé, fût-il lointain, et transforme sa capacité à agir dans le présent : il peut interpeller précisément ses interlocutrices et formuler, en situation, une préoccupation en s’adossant sur ce qu’il a déjà accompli. Comme la photo en témoigne, notre lecteur professionnel a donc le pouvoir de lire avec une grande précision un volume refermé, parfois depuis longtemps.







