Affordances
La psychologie environnementale de Gibson a montré que lorsque nous percevons quelque chose, nous ne percevons pas d’abord ses qualités (couleur, forme, surface, substance, etc.), mais ses affordances. Ce néologisme, parfois traduit par « prises » et « invitations » en français, désigne les potentialités d’action : ce que les êtres vivants perçoivent de l’objet dans le milieu dans lequel ils évoluent et qui est façonné par les interactions entre l’organisme et l’environnement. Par exemple, la vision de l’écran affichant les paroles d’une chanson célèbre, dont la musique est diffusée dans le bar, invite les noctambules à chanter. Autrement dit, une perception n’est pas un état mental, mais toujours la perception d’une signification sociale, susceptible d’évoluer. Et les métiers de la conception ont tous pour ambition de réguler les affordances de nos milieux de vie.
Après des décennies de critique du façonnement de la binarité des rôles sociaux qui s’est pourtant concentrée sur le choix des couleurs pour les vêtements et les jouets des enfants, les conceptrices, qui peuvent partager les fondements de cette critique féministe, mettent quand même au point des objets techniques selon des codes sémiotiques pensés comme universaux (féminin en rose, masculin en bleu), en anticipant l’action (chanter en alternance) dans un certain milieu (ici, une soirée karaoké). Fort heureusement avec les affordances des événements quelque chose échappe toujours aux concepteurs : dans cet espace cacophonique, les amatrices éméchées et bientôt aphones, chantaient en cœur les deux voix.