ISSN : 2266-6060

Polygraphie

Berlin, septembre 2017.

Les écritures abrégées, sigles et acronymes disent plusieurs mots à la fois. Résumant l’essentiel en quelques lettres, l’inscription est porteuse d’un sens qui se veut précis et circonscrit. Pour autant, la polysémie n’est jamais totalement exclue, les mêmes abréviations référant parfois à des entités complètement distinctes, voire antagoniques, sans autre rapport que l’agencement de quelques lettres.
Tous les fans d’heavy metal savent évidemment qu’AC/DC est un groupe formé en 1973 par les frères Angus et Malcolm Young (R.I.P. – autre abréviation qui mérite en billet à elle seule !), et dont la composition a changé au fil de sa trajectoire. En revanche, les électriciens savent combien le sigle désigne des variations possibles de l’entité qu’ils manipulent quotidiennement : “Alternating Current/Direct Current”. De même, de nombreux militants se retrouvent dans l’anonyme ACAB. Si son origine anarchiste, désignant “All Cops Are Bastards”, a été popularisé au cours de la grève des mineurs au milieu des années 1980 en Grande Bretagne, d’autres mouvements ont repris le sigle pour désigner des cibles différentes “All Capitalists Are Bastards”, stigmatiser certains groupes “Anarcho-Communists Are Bastards”, “Anarcho-Communists Against Boneheads”, ou encore défendre d’autres causes “All Colors Are Beautiful”.
Difficile donc de savoir ici ce que recouvrent exactement les inscriptions ACAB et AC/DC. Mais, plus intensément, c’est leur relation qui intrigue : la superposition équivaut-elle à un remplacement partiel ? Faut-il comprendre qu’AC/DC l’emporte sur ACAB ? Que les batteries et les guitares électriques sont plus puissantes que les matraques et les armes à feu? Que les électriciens sont plus valeureux que les forces de police ? Que les courants alternatifs sont supérieurs aux flics ? Ou bien, est-ce au contraire leur coexistence qui importe ? Le récent décès de Malcolm Young serait-il lié, d’une manière ou d’une autre, à une intervention de la police ? Le rouge s’accorde-t-il avec le noir, comme chez Stendhal ou au jeu de la roulette ? L’adoucissement des mœurs par la musique serait-il compatible avec le maintien de l’ordre par la police ? L’électricité serait-elle dotée d’une couleur, esthétique ou politique, différente selon sa modalité de circulation et son réseau de distribution ? Les écritures abrégées, sigles et acronymes ne disent pas seulement plusieurs mots à la fois en peu de lettres. Elles ouvrent aussi sur de vastes mondes en mouvement et aux relations multiples.



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