Interdépendance
La plaque a été scellée sur le mur de l’Institut mutualiste Montsouris, sur le boulevard Jourdan, au sud du 14e arrondissement de Paris. Elle fait partie d’une série d’initiatives de devoir de mémoire envers les animaux ayant massivement participé de l’effort de guerre durant le premier conflit mondial. Lancée en parallèle des commémorations de l’armistice, elle vise à entretenir le souvenir des 11 millions d’équidés, 100 000 chiens, 200 000 pigeons voyageurs qui ont partagé, durant plus de quatre années, la destinée des soldats. Ces combattants non humains enrôlés pour porter, tracter, guetter, secourir ou informer ont connu le stress des séparations, les affres du transport, l’apprentissage de la violence des combats, l’exploitation de la force physique, les relations militaires d’autorité, les privations, la vie boueuse, la faim, la peur en même temps qu’ils ont développé des attachements inédits dans les tranchées.
En regardant cette plaque de loin, on pourrait être tentés d’y voir un « signe des temps », matérialisation de notre plus grande sensibilité au vivant. Toutefois, comme l’a notamment montré l’historien Éric Baratay, c’est absolument l’inverse. La demande d’extension du devoir de mémoire aux animaux est née dans l’expérience du conflit, dans une société dans laquelle les humains et les animaux cohabitaient plus étroitement qu’ils ne le font aujourd’hui en étant devenus « de compagnie » ou des « produits alimentaires ». D’ailleurs, les animaux combattants étaient déjà présents sur les clichés, dans les comptages de l’administration militaire, dans les correspondances, puis dans les mémoires de guerre. C’est donc après, lorsque les chevaux cessèrent de tirer les calèches, de travailler à la mine, que les vaches ne furent plus traites à la main, que l’élevage s’intensifia et que la consommation de viande se banalisa que nous avons oublié l’évidence de ce qu’a signifié « une mobilisation générale ». Alors, oui, aujourd’hui, il faut le graver sur les murs et tourner des superproductions étasuniennes pour ramener à la conscience des contemporains la force des liens d’interdépendance avec les animaux.