Dédicace
Parmi les éléments qui façonnent l’écologie de la lecture, certains tiennent à la singularité de la carrière du volume. Le plus souvent, lorsque celui-ci a été prêté ou offert après avoir été chaudement recommandé, sa lecture devient indissociable de la relation amicale, amoureuse ou professionnelle qu’il matérialise sur l’étagère, avant et après l’avoir refermé, comme dans les conversations qu’il relance. Plus rarement, grâce à un salon, à une rencontre organisée par de vaillantes librairies ou à une interconnaissance, les premières pages imprimées peuvent être dédicacées, faisant du volume, en quelques mots et une signature, un exemplaire plus singulier encore.
Si cette pratique d’inscription s’avère rare à l’échelle d’une bibliothèque, chez les professionnelles de l’écriture et de la lecture, elle prend place dans une économie morale du don, faisant des journalistes, des éditrices et des autrices les plus célèbres des destinatrices choyées. Ici, l’anthropologue de l’université d’Amsterdam, Annemarie Mol, a adressé à son collègue et ami, Bruno Latour, en 2004, son dernier ouvrage. On imagine, l’appel ou le message de remerciements qui a précédé la réception et donc le lien qui se réactive, s’épaissit, se ramifie. On imagine moins que ce volume fortement lié à la relation entre les deux amis peut poursuivre sa carrière et se retrouver, vingt ans plus tard dans la bibliothèque d’une collègue, d’un laboratoire, de l’université, voire mener une vie plus incertaine encore grâce aux bouquinistes. Ce qui est sur, c’est que lire un exemplaire comme celui-ci ajoute à l’expérience de la lecture, a minima en donnant de la chair aux remerciements ou aux citations des références bibliographiques.







