ISSN : 2266-6060

Circuler

stationnement

– Paris, Mars 2009 –

Une des caractéristiques majeures des lieux publics contemporains réside dans leur capacité à être traversés : ils sont censés permettre de s’y déplacer plus ou moins rapidement et d’y circuler à loisir. La circulation peut même être érigée au rang d’un véritable impératif qui vient soutenir des politiques publiques: que ce soit dans la rue ou dans les cages d’escaliers, toutes les formes de squatte créent une gène et génèrent un sentiment d’insécurité. Au-delà des éventuelles activités illicites qui accompagnent le squatte, c’est l’état de siège lui-même qui s’avère contraire aux attendus d’un lieu destiné justement à la circulation de n’importe quelle unité véhiculaire.
Le panneau “interdiction de stationner” rappelle à juste titre que tout véhicule est voué à se déplacer très régulièrement et qu’il ne doit pas gêner l’accès aux voies de circulation. Mais lorsqu’il est criblé d’autocollants qui exposent des tags, la vocation du panneau devient plus ambiguë. A qui l’injonction de ne pas stationner s’adresse-t-elle ? Il se peut qu’elle soit finalement destinée à ceux qui occupent abondamment l’espace urbain par des inscriptions. N’a-t-on pas dit parfois que la prolifération des tags est une forme d’appropriation de l’espace qui revient à obstruer la vue ? Une conception qui donne une épaisseur à la fameuse formule “circuler, il n’y a rien à voir”. Le panneau présente d’ailleurs des résidus d’autocollants que l’on a cherché à faire disparaître.
Peut-être que la nouvelle vocation du panneau n’est pas de s’adresser aux tagueurs eux-mêmes, mais plutôt aux agents qui nettoient leurs inscriptions. Ce serait une sorte d’appel à la réparation de l’ordre public. Car l’injonction à ne pas stationner suppose que certains se chargent en personne de faire circuler les irréductibles qui occupent obstinément les lieux. Après une telle intervention, le panneau retrouverait sa fonction première : bien nettoyé, il pourrait à nouveau se concentrer sur son unique public en s’adressant exclusivement aux automobilistes…



One Comment

  1. Manuel Boutet wrote:

    La ville des rues, cet espace cosmopolite, c’est-à-dire entre les territoires, sans résidants, ne peut tolérer que certains s’installent, fassent territoire (et commencent pour cela par laisser des traces), car ainsi ils contesteraient le droit à passer de tous les autres, qui ont d’autant plus droit au passage qu’ils restent public indéterminé.

    Mais ce droit cosmopolite rapidement décrit (et déjà décrit plus avant par Emmanuel Kant), est celui des eaux internationales, des espaces entre les nations… ses extensions au sein de celles-ci sont nécessairement partielles, et surtout “sous réserve d’une décision citoyenne”.

    Car ici, la question peut être renversée: si l’étiquette est un signe scriptural comme le panneau, alors le panneau n’est-il pas un signe scriptural comme l’étiquette ? Autrement dit, le panneau n’est-il pas lui-même une marque d’appropriation de l’espace par l’autorité qui le pose, et donc une gêne à la circulation de celui vis-à-vis duquel cette autorité est inhospitalière, voire franchement hostile ?

    Si le droit cosmopolite ne “règle” pas plus la question que le droit coutumier, c’est que ces petits écrits posent une question politique, au plein sens du mot: pas de réponse sans choix citoyen, ou pour le dire plus classiquement, sans “légitimité”.

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