ISSN : 2266-6060

Ressorts du mouvement

Roissy CDG, février 2009.

C’est un jour un peu spécial pour lui. Son meilleur ami revient d’un long périple et il va le chercher à l’aéroport. C’est la première fois qu’il s’y rend, et qui plus est en voiture. Il sait d’avance combien ça va être difficile tant ce lieu est depuis longtemps déjà une plateforme des échanges internationaux. Il a conscience que les unités véhiculaires – pour reprendre une notion d’E. Goffman – y fourmillent de tous les côtés. Les uns arrivent par les portes des terminaux, les autres s’empressent aux comptoirs pour ne pas rater leur départ, d’autres encore déambulent en attendant leur correspondance. Il se doute que les personnels de l’aéroport s’activent eux aussi, qu’ils soient au service des voyageurs, chargés d’assurer le transit des bagages, ou d’aiguiller les avions. Il imagine bien que cette danse ne concerne pas seulement les humains : les avions, les valises, les tapis roulant, les chariots, les taxis, les bus, affluent de toutes parts, s’agitent de manière incessante, entièrement dédiés qu’ils sont à porter le mouvement jusqu’à son apothéose. L’état de fluidité permanente caractérise désormais la mobilité contemporaine.

À l’inverse des physiciens des hautes énergies qui fabriquent des accélérateurs gigantesques pour faire s’entrechoquer des particules de matière afin d’élaborer de nouvelles connaissances, la machinerie d’un aéroport international est entièrement dévolue à la circulation sans entraves, au mouvement sans accrochages. Mais pour que l’activité de chacun participe activement au mouvement perpétuel et contribue à former une chorégraphie générale, il faut aussi produire des points de repères, poser des jalons, fabriquer de la fixité. L’espace du mouvement se double d’un art du quadrillage et de la division. L’aéroport est décomposé en terminaux, en halls, en portes… Chaque parcelle est identifiée et nommée. Et c’est au cours de cette attribution de codes que les entités deviennent des unités véhiculaires de l’aéroport. Une fois qu’il a trouvé une place pour garer sa voiture, il peut donc se concentrer sur les retrouvailles avec son meilleur ami. Nul besoin de stresser à l’idée d’être envahi par d’incessants mouvements qui conduiraient à lui faire perdre des repères élémentaires. Le niveau, l’allée et la place sont marqués au sol : une simple photo suffit pour s’en souvenir.



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