ISSN : 2266-6060

Entités, épisode 2. Réservations

Kortrijk. Août 2009.

Dans un espace ouvert, la fabrique de seuils est différente. La configuration architecturale ne consiste pas en un lieu que l’on traverse de l’intérieur. En ville, un parking de supermarché est généralement délimité par une zone goudronnée et des bâtiments qui le jouxtent. La circulation y est beaucoup plus libre. Outre les véhiculent dotés d’un moteur, d’autres entités y sont acceptées. Les humains, même équipés de rollers ou d’un vélo, sont bienvenus. Les animaux aussi. Au fil du temps, certaines plantes peuvent même s’y installer durablement, sans faire partie du décor initial.
Le seuil de départ est très bas, l’accès très peu restreint. Dans un espace très largement ouvert à la circulation, l’enjeu est donc de produire une réservation. Pour cela, un panneau avec quelques mots ne suffit souvent pas. À certaines heures de la journée, la compétition pour les meilleurs places du parking, les plus proches de l’entrée du supermarché, fait rage. Outre un panneau, un marquage au sol à la peinture qui délimite des emplacements spécifiques est parfois nécessaire pour fabriquer un seuil. L’ajout d’une icône au milieu de l’espace circonscrit peut venir spécifier davantage encore la réservation. Pour occuper de telles places, il ne suffit pas d’être un humain. Au contraire, il faut être équipé d’une certaine prothèse : un humain-en-fauteuil-roulant ou un humain-avec-une-poussette-pour-enfants.
Quelques traits de peinture au sol se transforment ainsi en un véritable geste moral. Ils précisent l’étendue du caractère public de cet espace. Ils spécifient jusqu’à quel point ce dernier accepte l’expression des différences. Tout espace dit public est censé faire une place à chacun, pour son confort physique et moral. Au risque de flirter avec une stigmatisation qui, parce qu’elle est durablement inscrite dans le sol, oppose à l’inattention civile (si bien décrite par Erving Goffman) une obligation de prêter attention à celles et ceux que désigne ce qui est écrit.



Leave a Reply