ISSN : 2266-6060

Mémoire de l’Almanach


Par notre invitée : Victoria Brun

Ugine, octobre 2022.

En vidant la maison de mes grands-parents après leur disparition, je suis tombée sur une pile d’Almanachs du vieux Savoyard. Edité depuis 1946, c’est une institution en pays de Savoie. D’une centaine de pages, il se compose d’articles sur la faune et flore, les traditions, les événements historiques, et, bien sûr, d’un calendrier mensuel augmenté des dates de foire, de la position de la Lune, de prévisions météorologiques, ainsi qu’une liste de travaux à réaliser dans la maison.
En les ouvrant systématiquement à la page du mois de Janvier (entre 1999 et 2020), j’ai constaté, quand ils n’étaient pas complètement vierges (lassitude ? oubli ?), qu’ils y renseignaient trois types d’informations :
– la météo, avec la température (soit exprimée en degrés celsius, soit en « beau » ou « froid ») et les tombées (notamment la pluie, le verglas et la neige, avec parfois une indication d’intensité, de « blanchit » au nombre de centimètres ; le plus souvent en face d’un jour précis et sur le lieu de résidence, mais parfois en travers de plusieurs jours ou sur un lieu voisin) ;
– les travaux jardiniers, peu nombreux en Janvier, qui concernent la plantation, la pousse, la sortie de terre et les traitements (« dégermé p de terre »). On lit des occurrences plus nombreuses et diversifiées à la belle saison, par exemple en avril 2008 « semé œillets » ou « les poireaux poussent » ;
– et, plus surprenamment, les accidents (« chute dans le couloir ») et hospitalisations.
Ce qui me frappe encore et encore, c’est le contraste entre cette activité scrupuleuse et l’absence relative d’écrit dans cette maison sans numérique (ou presque). Des dates sur les enveloppes des factures, des noms en face de numéros de téléphone dans le répertoire, et, les jours de grande rigolade, des cercles tracés sur des mots mêlés achetés au tabac-presse. Pas de journal intime, peu de lettres, pas de noms au dos des photos. Je feuillette des albums peuplés de visages d’inconnus en tenue de cérémonie, par contre je sais quand ont poussé les pommes de terre ces vingt dernières années. Par ailleurs, je ne retrouve aucune trace, à part les signatures sur les papiers d’identité, de l’écriture de mon grand-père : c’est donc à ma grand-mère qu’il incombait de tenir le foyer par son coup de crayon, car l’écriture n’est pas un loisir. Contrairement aux calendriers de la cuisine jetés chaque premier Janvier, sur lesquels elle renseignait les rendez-vous et mémos pour arroser les fleurs, l’Almanach était soigneusement archivé, et avec lui les inscriptions qu’elle considérait précieuses : pour se souvenir des caprices de la météo, des récoltes, et des accidents – peut-être car ils mettaient aussi en péril les travaux jardiniers… ou qu’ils décomptaient son autonomie dans la maison qu’elle a tant animée.



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