ISSN : 2266-6060

L’occupation

Montréal (Yonne), août 2020.

Il y a une vingtaine d’années de cela, les rayonnages des bibliothèques et les plateaux de télévision ont vu débarquer une nuée de spécialistes plus ou moins autoproclammé·e·s qui, fébriles, cherchaient à partager leurs vives inquiétudes. L’écrit tel que nous le connaissions, nous expliquaient-ils, était en grand danger, une forme de communication quasiment en voie de disparition. Les responsables ? Les téléphones d’alors et le « langage SMS » que les jeunes s’étaient mis à adopter massivement, entraînant bientôt avec eux l’ensemble des sociétés civilisées. Qu’allait devenir notre culture occidentale, celle-là même que les Lumières nous avaient transmise et qui avaient fait la richesse de notre monde, si nous abandonnions si vite notre attachement à l’orthographe et à la grammaire ? La décadence était en marche.
En quelques mois, la déferlante d’une nouvelle génération de téléphones équipés d’un écran tactile et de claviers virtuels capables de reproduire la très grande majorité des caractères des langues écrites de la planète a balayé les frayeurs, et les essayistes intranquilles sont passé·e·s à autre chose, retrouvant au bout de quelques années leurs capacités de s’indigner pour dénoncer directement « les écrans », un danger plus grand encore.
Mais pourquoi diable ont-ils baissé la garde sur l’écriture ? Comment ont-ils pu laisser proliférer ce qui s’annonce aujourd’hui comme le mal graphique du siècle : la prolifération de ces petites icônes qui cherchent à guider nos comportements avec leur bouche tantôt souriante tantôt chagrine. Déjà sournoisement installées dans nos vies, elles se sont démultipliées avec la pandémie, occupant jusqu’aux bancs des églises. Une espèce envahissante si redoutable qu’elle sait même se passer des écrans et de leurs infrastructures électriques et numériques. Visiblement prêtes à coloniser nos interactions jusque dans l’Apocalypse.



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