ISSN : 2266-6060

Abreuver le corps politique


Paris, février 2020.

Comment le Sénat représente-t-il les territoires ? Plus exactement, selon les termes de l’article 24 de la Constitution, comment assure-t-il la représentation des collectivités territoriales de la République ? Par un découpage en circonscriptions, un suffrage universel indirect confié à un collège de grands électeurs et souvent un cumul de mandats, réputé attacher l’élu à des intérêts locaux ; la chose est connue, mais il serait dommage de s’arrêter là. On sait peut-être moins que, derrière les épais murs du Palais du Luxembourg, l’administration invente mille et une recettes pour donner consistance à ce mandat.
Au restaurant des sénateurs, où ces derniers préparent ou refont les séances et reçoivent experts et autres groupes d’intérêt, les territoires s’invitent à la table. Madame la Sénatrice Vérien, de l’Yonne, recommande un Château-du-Moulin-à-Vent, un vin rouge de Bourgogne, cuvée 2015 à 63 euros la bouteille ; tandis que Monsieur le Sénateur Canevet, élu du Finistère, suggère Kerné, le cidre artisanal Bigouden, 12 euros les 75 cl. La carte expose ainsi des fragments de territoires et nous fait voyager de circonscription en circonscription. Maintenant votre curiosité sociologique piquée, c’est ici que commence l’enquête. Qui recommande des boissons onéreuses ? Le prix du vin a-t-il une couleur politique ? Qui engage son nom sur un vin bio ? Et quel label ? Faut-il patronner une grande maison et faire valoir le prestige de sa circonscription ou plébisciter une entreprise familiale ? Un représentant peut-il sincèrement avoir aimé un vin ou bien le goût joue-t-il un jeu de distinction socio-politique ? Mais attention aux analyses figées de la recommandation comme classement ou représentation des intérêts : la carte, ici comme ailleurs, change tous les deux mois.
— Je vous laisse encore regarder ou avez-vous besoin d’une recommandation ?



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