ISSN : 2266-6060

Vases Communicants – Philippe Gargov : Délation

Paris XIXème, mats 2011.

Qu’il semble loin, le temps où le Suprême NTM invitait ses auditeurs à “[éduquer] les forces de l’ordre pour un peu moins de désordre.” (dans Police sur l’album 1993… J’appuie sur la gâchette). Depuis, Police est devenue Polisse (et Joey, star des plateaux), et l’éducation des forces de l’ordre s’est mue en éducation des citoyens, que l’on souhaiterait missionner en “observateurs” de l’insécurité quotidienne.
C’est l’une des innovations proposées proposées dans le Livre blanc sur la sécurité remis le 26 octobre dernier à Claude Guéant et coordonné par Michel Gaudin, préfet de police de Paris, et Alain Bauer, président de l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (synthèse policée VS synthèse plus critique). Innovations ? Oui, car “un Livre blanc ne doit pas être un produit à usage rétrospectif visant à valider le passé sans prendre en considération ce qui a évolué ou ce qui va survenir”, tiennent à préciser les auteurs en avant-propos. Mais comment “innover quand, comme Nicolas Sarkozy, depuis dix ans, on occupe, directement ou indirectement, le terrain de la sécurité”, s’interroge Laurent Borredon dans Le Monde ? Question légitime qui ne semble pouvoir trouver sa résolution que dans un renversement plus ou moins profond des conceptions actuelles de la sécurité, ou tout au moins dans le décloisonnement de ses définitions.
Constatant que la “réactivité [des forces de l’ordre] et les bons résultats associés depuis le début des années 2000 (sic) n’ont pas toujours suffi à améliorer la perception, par la population, d’un climat de sécurité » (1.2), le premier des six groupes de préconisations se penche plus particulièrement sur les questions de sécurité quotidienne et de relations police-population, avec notamment pour objectif de “revaloriser et redonner du sens au métier de la sécurité publique” en la replaçant “au coeur de la Cité” (1.3), voire carrément de “susciter à nouveau ces vocations et rendre cette mission attractive”. Car le citoyen lambda ne le sait peut-être pas (encore), mais la sécurité publique : c’est SYMPA.
Et comment mieux le motiver qu’en l’intégrant dans les démarches de sécurité qui le concernent ? “Afin d’améliorer le partenariat de sécurité avec la population, il apparaît enfin nécessaire de déterminer la capacité des citoyens à apporter une plus-value aux services de sécurité publique (renseignements, appuis opérationnels …)” (1.3.3.3). Plus concrètement ? Suscitons donc des vocations ! “Le concept de « solidarité citoyenne », déjà expérimenté par la gendarmerie, pourrait être plus largement diffusé afin que la population se tourne vers les services de sécurité publique dans une logique de partenariat de sécurité. Plusieurs démarches, relevant davantage du sens civique que de la véritable implication dans le partenariat de sécurité, pourraient ainsi être développées en lien étroit avec les forces de sécurité, les élus et les autorités administratives et judiciaires, sous 4 formes éventuelles : l’observation, le signalement, la prévention et l’échange”.
Le citoyen est ainsi invité à se placer dans une “posture d’observateur” qui doit notamment “conduire les habitants d’un quartier à détecter les situations inhabituelles (présence d’un véhicule suspect…)”. L’auteur du graffiti n’a visiblement pas attendu les recommandations du Livre blanc pour s’atteler à la tâche. L’impatience est aussi maîtresse des vertus quand il s’agit de sécurité.
Mais attention : il n’est pas question de se doter d’une armée de corbeaux prompts à dénoncer le voisin sans raison. Le Livre blanc est clair sur ce point, expliquant dans la synthèse des principales propositions qu’il s’agit avec cette idée de “structurer le contact avec le public sur la base d’une doctrine de « solidarité citoyenne » fondée sur la responsabilité et évitant les risques de la dénonciation anonyme”, ce qui implique de “rappeler clairement les règles légales relatives à la dénonciation calomnieuse, tout en protégeant résolument les témoins ou victimes des actions de représailles”. Oh, petite précision : les auteurs recommandent aussi de “transposer pour les témoins l’obligation de témoigner et l’incrimination de faux témoignage (sauf auto-incrimination)”.
C’est peut-être ce qui a conduit les “observateurs” anonymes à dénoncer ce camion par la voie écrite, plutôt que de s’en référer à la police. Car si les paroles ne s’envolent même plus, seul restera l’écrit pour aider la police. Quitte à tomber, le temps d’un tag, dans l’illégalité : l’éducation des citoyens mène vraiment à tout. On ne dit plus “je nique la police”, mais “je fais l’amour à la sécurité publique”. Et si possible tendrement, en la tenant par la main.

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Dans le cadre des Vases Communicants, nous avons le grand plaisir d’accueillir Philippe Gargov, créateur et tenancier du superbe Pop-up-Urbain, où l’on parle, bien, d’urbanisés et de culture populaire. Vous pouvez évidemment retrouver notre contribution chez lui.
N’hésiteé pas à vous plonger dans la liste complète des blogs participant aux Vases communicants.



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