ISSN : 2266-6060

(H+NH)2 = H2+2HNH+NH2

Paris, juin 2010.

Les feux de circulation régulent les flux de véhicules. On passe au vert, on ralentit à l’orange, on s’arrête au rouge. Une évidence pour tous ceux qui partagent cette convention. Mais les feux de circulation réglent aussi les conflits juridiques : lorsque deux voitures se percutent en pleine nuit, sans témoin, difficile de trancher les situations de désaccord et de savoir quelle assurance doit prendre en charge les dégâts. Solution : à partir d’une certaine heure, on délègue l’action à un feu orange clignotant et à la priorité à droite. Il suffit ensuite de déduire l’imputation de responsabilité de la configuration de l’impact. Et les feux de circulation prennent en charge encore autre chose. Lorsque les premiers ont été installés, aux États-Unis, on s’est rendu compte qu’en remplaçant les agents en chair et en os ils permettaient aussi d’éviter toute forme de discrimination raciale, laissant le même temps d’attente aux piétons blancs et noirs. Régulateurs du trafic, médiateurs d’assurance automobile, les feux sont également porteurs d’enjeux moraux.

Pour autant, les chauffards et les daltoniens n’ont pas déserté les rues. Et dans ces circonstances les piétons redeviennent des obstacles peu encombrants pour un véhicule lancé à plus de cinquante kilomètres à l’heure. Qui plus est lorsqu’il s’agit d’humains de moins de quinze ans. Les feux de circulation ne tiennent alors plus leur rôle. Le beau compromis juridique et moral qu’ils réalisent ne compte pas. Pour faire à nouveau une différence, on décide donc de rajouter un humain qui, pendant le feu rouge, s’interpose entre les voitures et les piétons. Mais, on le sait bien, pour être pris au sérieux, il est préférable de l’identifier par un uniforme : un gilet jaune fluo avec une inscription municipale fait ici l’affaire. Enfin, on parachève la contribution de cet assemblage, composé d’un humain et d’une inscription, en rajoutant un élément du code de la route aménagé pour la situation : un panneau “Stop école” brandi par l’agent.

Les phénomènes d’association et de substitution décrits par la théorie de l’acteur-réseau donnent parfois lieu à de formidables redéploiements où la chaine d’humains et de non-humains s’amplifient à nouveau. Au point même que, dans ces cas-là, le dispositif s’expose de façon très explicite : c’est le moment de traverser pour les écoliers. Que dois-je faire alors ? Attendre mon tour ou accepter de redevenir un écolier le temps d’atteindre l’autre trottoir ?



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