ISSN : 2266-6060

Vases Communicants – Antonio Casilli : Godzilla do Brazil

São Paulo, mars 2008.

La pire forme de solitude, c’est d’avoir des amis de São Paulo. Ils m’éloignent tout en me gardant tout près d’eux, ils m’enferment dans des cases comportamentales. P. veut me prendre en photo, debout sous les panneaux de rue au croisement d’Ipiranga et Avenida São João. Comme dans la chanson de Caetano Veloso. « La dure poésie concrète des coins de rue », la voilà derrière mon dos, gravée en lettres géantes sur les bâtiments.
O pixaçao est ce style de glyphes démotiques, ancienne écriture de voleurs. Austères, les paulistanos détestent les fioritures barbares de leur capitale. Pixação não é grafite, m’explique-t-on : les graffiti sont un art, le pixaçao n’est que de la dévastation. Dont acte. Mais alors il devient d’autant plus difficile de faire comprendre à mes amis mon attirance inquiète pour la démesure de ces gribouillis d’ogres. Des caractères de trois mètres, tracés jusque sur les sommets des gratte-ciels.

Le soir, en rentrant à l’hôtel, bercé par le taxi qui roule à travers Avenida 9 de Julho, je m’endors la tête contre la vitre. Je rêve qu’à l’horizon les pixadores surgissent gigantesques dans un ciel de néon. Bombes à la main, leurs tronches de larrons venus d’un autre monde. Ils crachent leurs messages de menace, rongent les murs avec leur venin.

Les monstres, les créatures colossales, doubles de chaque mégaville. Pour Tokyo, un Godzilla. Pour New York, King Kong. A São Paulo, ses pixadores. Monstruosité qui ravage une monstruosité et qui, dans la haine unificatrice des citadins, donne un sens à leur coexistence.

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Tiers Livre et Scriptopolis sont à l’initiative d’un projet de Vases Communicants : chaque premier vendredi du mois, un auteur écrit sur le blog d’un autre et vice-versa, à charge à chacun de préparer les mariages, les échanges, les invitations. Circulation horizontale pour produire des liens autrement.
Aujourd’hui, Scriptopolis reçoit Antonio Casilli du blog Body Space Society dans le cadre du projet Les Vases Communicants. Vous pouvez retrouver notre contribution chez lui.



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