ISSN : 2266-6060

Et se taire

setaire

– Invité : Jean-François Laé –

Elle a reçu des coups, Martine. Elle est furieuse de son bras moiré d’hématomes jaunis qu’elle fait prendre en photographie pour l’agrafer à sa lettre à monsieur le Procureur de la République. Plainte pour mauvais traitements. C’est vrai quoi, la police est cavalière. «  Je roulais rue des usines à Noisette pour me rendre chez mes enfants, écrit-elle, et tout à coup une voiture me double à toute allure, j’ai donné un coup de volant, et je suis montée sur le trottoir en touchant quelques petits arbustes qui servent de décor. »
Y’a pas de quoi arrêter une femme sur le champs et de la faire souffler dans un ballon quand même. Martine refuse de souffler, « Pour qui me prennent-ils ? Allez !!! Soufflez dans le ballon (sans être poli), cela me met en colère et je réponds que je ne soufflerais pas. Vite fait, ils me descendent de ma voiture et me passent les menottes comme des fous et m’emmènent au poste de police de Noisette. De là je suis mal traitée, auditionnée comme une « vulgaire femme », on me saute dessus, le policier me fait un étranglement, la femme policier me bouscule violemment, je la repousse, elle me tord les poignets comme une folle, me fait des bleus, me jette dans la cellule et me donnant une grande claque dans le dos (…) »
Martine est hors d’elle. Dans sa lettre au procureur, elle s’indigne, elle qui tient un bar depuis plus de 40 ans, elle en a vu des incidents, souvent sur des clients, les fidèles du bar, mais jamais à son égard. « Trouvez-vous normal ajoute t-elle que deux jeunes policiers qui sortent de l’école se croient tout permis et qu’ils me maltraitent à ce point ? J’ai tenu 3 bars seule avec des enfants à charge, sans pension alimentaire, étant divorcée de mon mari qui est mort très jeune suite de maladie. Je n’ai jamais eu aucun droit ni reçu aucune aide. »
Le Procureur regarde sans cesse la photographie, les bleus boursouflés, les contusions sur le crâne, il relit la lettre. Mais il regarde surtout avec une immense attention le bras gauche de Martine, son avant-bras d’où est inscrit SOUFFRIR ET NE RIEN DIRE. 22. 12.
Le stigmate agit immédiatement. Martine à souffert dans un espace d’enfermement. Martine est cabossée depuis longtemps. Sa lettre qui pouvait être crédible tombe à l’eau. Coupable d’alcoolémie. Mais surtout coupable d’écriture sur soi. Ecriture d’aveu. Souffrir et ne rien dire. Un aveu de résistance extrême.



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