ISSN : 2266-6060

Le spectre de la morale

Issy-les-Moulineaux. Novembre 2009.

Un sociologue dont le travail est reconnu dans le monde entier, mais qui demeure fortement haï en France, ouvre depuis quelques temps certaines de ses conférences avec l’affiche d’un (mauvais) film, où l’on peut lire une revendication pour le droit des non-humains. Contrairement à ce que beaucoup pensent, ce geste n’est pas une provocation. C’est un clin d’œil pour illustrer un travail théorique particulièrement riche, dont la tradition philosophique et anthropologique ne date pas d’hier et qui dit beaucoup de notre monde, pour peu que l’on veuille bien observer attentivement ce qui s’y joue.
Nous passons notre temps à traiter avec les choses. Nous vivons avec elles et certaines, même, nous font vivre. Des plus complexes aux plus simples, elles peuplent avec nous ce que nous appelons l’univers et forment avec nous ce que nous appelons le social. Nos petites enquêtes sur l’écrit ne cessent d’interroger cette part artefactuelle du monde. C’est qu’avec l’écriture, il n’y a jamais de rupture entre les mots et les choses, mais plutôt un continuum, des chaînes d’énonciation graphique et matérielle qui se répartissent dans des formats variés.
À propos des objets écrits, l’une des difficultés est de ne pas tomber dans cette manière étrange de voir qui réduit tout à des fonctions et décrit chaque forme d’action en terme d’instrumentation. Il suffit de voir comment l’on fait, quotidiennement, avec les écrits qui nous entourent pour repérer les ajustements qu’il faut toujours déployer en situation. Il suffit aussi parfois de s’arrêter pour regarder vraiment le monde graphique que nous habitons. Combien de fois avons nous traversé ce passage piéton sans rien voir ? Il y a pourtant ici une petite foule dépliée qui cherche à sortir le passant de sa torpeur. La classique figure changeante d’un bonhomme qui avance et d’un autre qui se tient arrêté est accompagnée, comme on accompagne parfois un enfant à qui l’on signale les droits et les devoirs du citadin. Et qu’affiche le petit panneau qui se tient à ses côtés ? Pas grand chose. Il demande simplement un peu de respect pour cette technologie si simple qui, en passant du vert au rouge de concert avec le feu des automobilistes, ordonne la circulation des entités hétérogènes qui passent dans les rues. Si simple, mais si fragile. Conditionnée par une morale ordinaire à qui l’on demande ici de ne pas faire tant de différence entre les humains et les non-humains.



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