ISSN : 2266-6060

Belfast : effacer les traces ?

L’invitée du vendredi : Sandrine Barrey

Belfast, aout 2011.

En passant par Falls Road, artère principale de l’ouest de Belfast républicain, à gauche d’un long mur de peintures murales, on peut trouver cette fresque. Elle représente Kieran Nugent, premier prisonnier ayant refusé de porter l’uniforme carcéral en 1976 et qui a lancé la lutte pour la reconnaissance du statut politique des prisonniers victimes de l’internment. Officiellement nommée Demetrius, cette opération britannique débutée pendant l’été 71 visait à emprisonner sans procès les représentants des groupes paramilitaires républicains, les considérant comme des criminels de droit commun. La trêve de 1975 a mis fin à l’internment sans procès, mais les procès sans jury et avec un seul juge continuent. La lutte des prisonniers de l’IRA contre cette nouvelle politique de criminalisation a abouti en 1981 à une grève de la faim faisant dix morts. En bas de la fresque sont rapportés les propos de Kieran Nugent : « La seule façon de me faire porter l’uniforme carcéral sera de me le clouer sur le dos ». En haut à gauche sont dénoncés les actes de torture pratiqués sur les prisonniers. En haut à droite Bredan Hugues, un des fondateurs de l’IRA, est représenté nu dans sa couverture, symbole des blankets men. Enfin en bas à droite les premières de leurs 5 revendications : le droit de ne pas porter l’uniforme des prisonniers ; le droit de refuser le travail carcéral ; le droit de s’associer librement parmi les prisonniers républicains et d’organiser leurs propres activités de formation et de loisirs ; le droit de recevoir une lettre, un colis et une visite par semaine ; la conservation de la remise de leur peine, en cas de participation au mouvement de protestation.
Ce 12 aout à Derry a eu lieu une manifestation de commémoration de la grève de la faim des prisonniers et de lutte pour la reconnaissance du statut politique des personnes toujours incarcérées. Les avancées dans le processus de paix du conflit nord-irlandais ne signifient pas la fin des divisions communautaires, et ces muraux constituent la principale manifestation visuelle des revendications identitaires. On les trouve principalement dans les quartiers ouvriers de Belfast, là où les gens appartiennent au même groupe confessionnel et politique. Ils sont aujourd’hui menacés de disparition par le programme « Repenser les communautés » (Re-imaging communauties) du Conseil des Arts d’Irlande du Nord qui souhaite remplacer les anciens muraux militaires par des peintures non politiques, faisant le pari que ces dernières amèneront la réconciliation des communautés. Celles-ci sont peintes par des étudiants en arts, excluant de fait les anciens militants autodidactes du programme.
La fresque Kieran Nugent peinte récemment témoigne à la fois du caractère toujours actuel des revendications et du fait que les programmes gouvernementaux de 2006 n’ont pas freiné la création de fresques politiques. Pas si simple d’effacer l’histoire.



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