ISSN : 2266-6060

Absence

Paris, mai 2022.

Matières, signes, parfois lumières, elles furent considérées comme un composant essentiel de cette réalité urbaine si bien décrite par Georg Simmel. Flux sémiotique d’une ville qui cultive à chaque coin de rue l’excitation mentale de ses passants. Merveille de la modernité. Puis vint le temps de l’agacement. Leur prolifération a fini par inquiéter. Omniprésentes, mal fichues, obsédantes de médiocrité et de capitalisme outrancier, elles sont devenues une pollution. Saturant des villes transformées en grand marché de l’attention, s’appropriant l’espace public et détournant son usage, il a fallu les endiguer ou, à défaut, les harmoniser.
Et voilà qu’aujourd’hui, on se surprend à les regretter. Ou plutôt à s’inquiéter à nouveau, mais cette fois-ci de leur absence. Qu’est-ce donc que ce site muet et presque aveugle, d’où sortent régulièrement des marchandises, et dont la porte laisse entrevoir des rayons d’épicerie à chaque fois qu’elle s’ouvre ? Pourquoi ne peut-on l’identifier de plus loin, avant de tomber nez-à-nez avec sa façade nue ?
Dans la poursuite de sa mue servicielle, en déplaçant l’acte d’achat sur les écrans de téléphone, et en confiant le commerce a une armée d’ouvriers livreurs transformés en fantômes, la ville s’est vue débarrassée de ses magasins au profit de nouvelles formes d’entrepôts, installés en son cœur, et de dark kitchens sans salle ni tables.
On se trouve bête à scruter deux petits autocollants sur une paroi opaque. Et l’on comprend qu’aux conditions de travail dégradées, aux marchés distordus par des modèles financiers douteux, cette transformation ajoute une autre mutilation plus subtile, que certains trouveront peut-être anecdotique, mais qui affecte pourtant la trame même de la ville. Elle fait disparaître les enseignes.



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